Les survivants - Poboleihko - 3/4

Maetoki, noël 2019: une grande foule s’est rassemblée autour de l’église saint Anne ; inhabituel dans ce village où la communauté chrétienne ne compte que 8 familles, soit environ 35 personnes, relativement assidues. 
Beaucoup de bouddhistes et animistes sont venus nous rejoindre pour la fête et les cadeaux. 
Ils profiteront tout de même de la messe par le biais des enceintes placées à l’extérieur. 
Quels fruits spirituels pour ceux-là ? Dieu seul le sait… Mais des visages inconnus ont franchis la porte de l’église et semblent savoir prier, fait plutôt rare dans le secteur… on discute à la fin de la messe : deux familles, deux histoires et un petit noyau chrétien qui reste fidèle au Christ depuis des années malgré son isolement : ces deux familles habitent à une dizaine de kilomètres dans le village de Poboleihko. 

Seuls chrétiens, ils me disent prier tous les dimanches dans leur maison. Je leur demande pourquoi ils ne viennent pas prier de temps en temps à Maetoki, ils me répondent qu’ils ne connaissent personne ici… ce qui est intéressant : la foi est tellement communautaire qu’ils n’envisagent pas de prier avec des inconnus. 

Ce phénomène a un impact sur les jeunes, même les plus fidèles, qui, une fois à Bangkok vont abandonner toute pratique et reviendront à la messe de retour au village ; de même, des jeunes, garçons le plus souvent, issus de familles très croyantes, vont tout abandonner de leur foi lorsqu’ils épousent une bouddhiste et vont habiter dans la belle famille. 
Deux familles composent donc la petite communauté de Poboleihko : Panopaj est originaire de Kanadei, un village lointain, évangélisé autrefois par le P. Joseph Guillou, MEP. 
La coutume, jusqu’à récemment, impliquait pour le mari d’épouser la religion de sa femme : venant habiter chez elle, il ne doit pas apporter la division dans la famille. 
Cette solution est un compromis qui pose certaines questions sur le plan de la foi et qui ne peut se comprendre que dans le contexte d’une société communautaire : l’unité du groupe compte plus que les convictions individuelles. 
La foi de Panopaj a été plus forte et sa femme a consenti à devenir chrétienne (il est encore rare de voir un couple mixte religieusement) puis les enfants ont été baptisés (à Kanadei, qui reste, même après dix ans de vie à Poboleihko, leur communauté chrétienne). 

La deuxième famille est plus atypique : seul le père, Ticuipaj, semble un peu dans le coup, mais ils viennent de temps à autres prier à Tebluyo, où réside une partie de la famille. 
Quand j’ai vu Ticuipaj pour la première fois à Tepico au milieu des autres, il avait l’air aussi concerné que moi dans un culte animiste… par la suite je leur rends visite. 
Il est avec son fils en train de fabriquer des cartouches pour leur fusil made in Poboleihko. 
Notre venue est l’attraction du jour, et cette visite, qui me conforte dans l’idée que les voies du Seigneur sont impénétrables, nous ouvre bien des portes, et quelques bouteilles. 
Les catéchistes ne sont presque pas venus dans ce village et les pères et sœurs, jamais. 
Au Seigneur de nous aider à trouver les paroles et actes qui sauront révéler son amour à tous ces villageois. 

J’aimerais pour commencer éclaircir le mystère de la foi de cette famille : pourquoi sont-ils chrétiens ? Ils ne savent rien, ne sont pas issus d’une famille chrétienne, aucune communauté chrétienne dans le village… il n’y a que le témoignage de cette petite église locale de Tebluyo, dont le chef chrétien est bien attaqué par l’alcool, mais n’en demeure pas moins un des premiers convertis de la zone. 

La graine de foi, née à Tebluyo il y a quelques années, bien fragile et guère prometteuse, porterait-elle du fruit jusqu’aux extrémités du secteur ? Difficile d’y répondre et seul Dieu sonde les cœurs. 
C’est en tout cas une grande joie de rassembler ces chrétiens isolés et de voir leur foi grandir. 
Une nouvelle porte s’est ouverte, à nous de faire preuve d’audace et de suivre l’Esprit.