L'école des saints, la mémoire des défunts


Novembre dans le secteur de Maetan: 

N'aies pas peur mais prie pour eux!

Qui sont les saints ? Comment faire mémoire de nos défunts ? Deux questions essentielles qui marquent les villages une fois par an. La saison des pluies terminée, les routes sont à nouveau en bon état ; alors tout le monde sur le pont, et cap sur les villages ! Sœurs, catéchiste, élèves, pado… Nous allons dans chaque communauté fêter la Toussaint et prier pour les morts. Double défi : 

Le jour des morts chez les karens
  • Nous arrivons en pleine récolte du riz. Comme au centre Joseph Quintard, le riz est mûr, tout le monde s’affaire aux champs. De 7h du matin jusqu’à parfois 22h, tous travaillent; car il faut non seulement couper le riz mais le battre à la main en fin de journée et le rapporter à la maison pour éviter que l’humidité ne l’abime. Pas évident de convaincre certains de revenir plus tôt au village pour assister à la messe… d’autant que ceux dont les champs sont plus éloignés dorment dans leur cabanes. On voit cependant une grande différence entre les villages : dans les uns, tout le monde fait l’effort de revenir, ils demandent aussi de bénir les premières récoltes. Ils croient que ce temps perdu pour Dieu est une bénédiction. Dans d’autres, l’assemblée est plus clairsemée… Faute à la paresse ? certainement pas, ils travaillent du matin au soir et beaucoup ont les genoux ou le dos en mauvais état… Les villages concernés par cet absentéisme sont surtout les plus pauvres : Takodei, Debusileihko, Lehpado... Il y règne une plus grande inquiétude : beaucoup de jeunes sont partis, peu font des études, peu de rentrée d’argent, alors difficile, même pour quelques heures de laisser le riz, leur unique ressource. Dans ces conditions, difficile de les blâmer. Mais depuis mes remarques de l’an passé je constate déjà des progrès ; ici plus encore qu’en France, le temps et la douceur ont raison de beaucoup d’obstacles !
Marche pour aller au cimetière - Le jour des morts chez les karens
  • La célébration du jour des morts : c’est un point crucial dans cette société encore profondément animiste. Les cimetières sont en fait un lieu au milieu de la forêt, de préférence éloigné du village, où l’on distingue parmi les plantes qui les recouvrent ce qui fut des tombes. On les retrouve, difficilement, grâce aux habits et bouteilles laissées dessus (vestiges des rituels animistes). On n’ose s’y rendre qu’à l’occasion des funérailles, et encore, tous n’y vont pas car on a peur de ces lieux que beaucoup considèrent avec effroi. Pour encore nombre de chrétiens, les âmes des défunts continuent à errer (les fameux ‘’Tamura’’) et peuvent jouer un mauvais tour. La récolte du riz est donc une excuse parfaite pour s’esquiver à la karen avant que la cloche ne retentisse… Le soir de la messe de Toussaint nous faisons une catéchèse sur la mort selon la foi chrétienne. On les voit rarement aussi attentifs ! C’est un moment privilégié. Je leur demande à la fin s’ils ont peur de m’accompagner le lendemain, réponse à l’unisson : bien sûr que non ! Joie ! Mais je ne suis plus dupe… Je sais que demain matin, seul un petit reste viendra prier pour ses morts au cimetière. La route est longue, mais même avec quelques-uns, la majorité sont des enfants, c’est une expérience marquante. Il est surprenant de voir l’apparent détachement dont ils font preuve à l’occasion du décès d’un de leur proche ; mais lorsque nous allons ensemble nous recueillir sur les tombes de leurs parents, enfants, amis, lorsque nous plantons les croix, déposons fleurs et bougies, chantons et bénissons, les visages s’éclairent : c’est l’espérance qui renait, la foi en la vie éternelle qui prend tout son sens et la communion des saints n’est plus un mot compliqué d’un credo auquel ils ne comprennent pas encore grand-chose. Nous ne sommes pas seuls ; Dieu est avec nous, et avec Lui tous ceux qui nous précèdent dans les cieux. 
Bénédiction des tombes - Le jour des morts chez les Karens
Recueillement sur les tombes - Le jour des morts chez les Karens